Lignes de fuite

Esthétique signifiante d’un monde conçu entre la verticalité de Zalem, ville suspendue dans le ciel -qu’on imagine utopique, on ne la verra jamais-, et l’horizontalité d’Iron City, dans son ombre.

Verticalité et horizontalité structurent le quotidien des habitants d’Iron City, où chacun rêve en secret de monter « là-haut » et doit se confronter à un monde où la violence fait loi. La violence comme seule organisation précisément car Iron City est privé de toute hiérarchie en dehors de celle structurée par Zalem et par « The Factory ». Monopole de la verticalité, banalité du mal de l’horizontalité.

Frontières

Chacune à leur manière, Zalem et son double Iron City sont des oasis, clairement délimitées, par la plateforme qui maintient la première suspendue au-delà du sol, et par la frontière avec un monde extérieur dévasté par les catastrophes, où quelques fruits peuvent encore être cultivés. Elles sont, chacune, les dernières reliques d’une humanité toute puissante au bord de l’anéantissement. Le récit est bordé par ces frontières que seuls peuvent transgresser ceux qui n’ont pas de nom: les déchets déversés, comme digérés, par Zalem vers la décharge au cœur d’Iron City, ou la mystérieuse Alita, cyborg sans identité et sans mémoire récupéré parmi les ordures par le Cyber-docteur Ido.

Fantômes

Alita convoque de nombreux fantômes: celui de l’autre Alita, la fille d’Ido disparue quelques années auparavant, celle d’une guerre vieille de 300 ans entre les forces terriennes et la technogarchie United Republic of Mars, celle d’une technologie oubliée dont elle est le fruit, et bien sûr celui de sa propre histoire, et de ce qui l’a amenée à se retrouver, en miettes, parmi les ordures de Zalem.

Technologie et mort

Dans un monde d’humains augmentés et de cyborgs, la médecine ne se distingue plus de l’ingénierie que par ses idéaux et sa morale. C’est ce qu’incarne Ido, anachronique fidèle du serment d’Hippocrate 31 siècles plus tard, et qui continue de promettre de réparer tous ceux qui en ont besoin. L’humain a physiquement disparu, dissout dans la technologie, seules subsistent ses valeurs. L’humain et le non-humain se mélangent, se combattent ou s’aiment au travers des barrières technologiques, et l’on meurt de ne pas être réparé, par manque de pièces de rechange ou par la faute d’une technologie trop avancée dont on a perdu les secrets.

Corps objet

Le corps, dès lors, est pur objet, qu’il soit de chair ou de métal, et par-là même objet de violence, de transaction, de vol, d’échange. Alita Battle Angel déploie visuellement une vaste économie de l’organe, celui qu’on reconstitue, qu’on détache, qu’on découpe à l’épée, qu’on extrait brutalement, ceux des corps réels des acteurs filmés et ceux virtuels reconstitués par motion capture. Le film entier semble aborder l’éternelle dichotomie entre le corps et l’esprit par une vaste entreprise de déstructuration et de recombinaison des corps, comme pour tenter d’en dégager un plus petit ensemble commun. La violence visuelle qu’on imagine présente dans Gunnm, le manga d’origine trouve ici un sens particulier, au-delà du spectaculaire, une cohérence avec le récit qu’elle soutient.

Allégorie

La construction du récit s’appuie sur des principes de pureté et de simplicité: les lignes verticales et horizontales de l’univers, la bonté spontanée et la puissance pure du personnage d’Alita. Le cyborg comme quasi Allégorie d’une révolte du Bien contre le Mal, Ange aux pouvoir surhumains, figure féminine d’une rédemption par la technologie ou d’une vengeance nourrie à travers les siècles?