C’est à la limite où disparaissent les arbres. Quand on s’est suffisamment élevé sur les sentiers rocailleux, sous le soleil, à l’ombre des sapins, chênes, aulnes ou autre espèce, selon le lieu, selon le climat. Un peu de vent qui agite les cimes au-dessus du regard, et après un certain temps, au détour d’un virage, derrière une roche, soudain, comme par surprise, on perce, et l’immensité se fait.

Tandis que l’on progresse encore vers le sommet, la forêt derrière nous n’est plus qu’un souvenir, dont la ligne  s’éloigne, précise, comme tracée par un géomètre déchirant la montagne en deux, marquant la frontière avec le monde d’en bas, sa fraîcheur, son ombre protectrice, et celui d’en haut, bien plus austère, rocailleux, herbeux, ou couverts de lichens, mousses, ou buisson ras. En-dessous, au-delà et loin, peut-être on aperçoit, on devine, la vallée et son lointain echo.

Cette démarcation, souvent, elle est artificielle, tu le sais, marquée par les successions des générations, l’Alpage, la transhumance, les troupeaux qui dévorent les jeunes pousses, les clairières que l’on découpe à la hâche ou à la flamme dans la forêt initiale, les nuits passées à scruter les étoiles froides en attendant que pointe le jour, les prédateurs. Maintenant tu sais que, souvent, cette ligne est la trace d’une absence, de ce qui a disparu du sommet de la montagne, de ces arbres trop faibles, à la croissance trop lente, vite balayés par le rythme effréné de la succession des pâtures et des cultures.

Si le chemin avait pu monter plus haut, avant que le pente ne s’apaise, ne s’annule puis replonge, ils auraient de toute façon fini par disparaître, à un moment, vaincus par les vents, les hivers trop longs et la neige. A un moment, s’il reste un espace avant le ciel, la vie se fait touches, à l’abri d’une anfractuosité, puis disparaît sous la neige immense.

A cette limite, là, où tu tiens et où subitement apparaît le ciel et les sentiers pour le conquérir, tu sembles comme un cétacé minuscule, perçant la surface dans un curieux élan, savourant cet éternel instant d’équilibre, suspendu au-dessus des nuages d’écumes.

Ce lieu, là, est un appel vers la montagne. Et il te semble voir, tandis que grimpe la température, foncer à l’assaut de ses pentes la multitude des végétaux cherchant refuge sous un climat plus clément. A l’arrière de  leur chevauchée infernale se dessine, tout en bas, une nouvelle frontière, qui monte toujours plus haut, entre la mince bande de vie et le désert, qui monte, qui monte, qui monte.

Tu arrives au sommet. Au-dessus, le ciel. Où aller?