Qui est le Major Mira Killian? Quelle définition de son identité reste possible, dans un monde de double convergence, où robots et humains sont indiscernables, où corps et réalité peuvent librement être « augmentés », où les souvenirs et la conscience peuvent être hackés, contrôlés, effacés ou altérés? Qui parle, au juste, en son nom, lorsqu’elle donne ou refuse son consentement à voir certains de ses souvenirs téléchargés, analysés, détruits?

« Première en son genre », le Major Mira Killian est un personnage limite, symbole d’un monde post-humaniste aux frontières rompues, dont on sent bien qu’elle sera la ruine ou le salut, l’apocalypse en tout cas, tant elle en expose les tensions au paroxysme. Elle a été conçue comme la plus petite entité humaine possible, réduite à l’ultime frontière que ce monde semble encore accepter de tracer entre l’homme et la machine: le « ghost ». Quelque part entre l’âme éternelle chrétienne (trop mystique) et la conscience (trop simple à simuler), le « ghost » porte bien son nom: il est un point d’interrogation, une limite insaisissable, la dernière illusion d’un humain en pleine dissolution dans son futur technologique. Major Mira Killian doit en être l’expérience: un cerveau vivant plongé dans un corps cybernétique, détaché de son passé, un « ghost » sous l’analyse permanente de celle qui l’a emprisonné dans son laboratoire corporel, la docteur Ouelet.

Que reste-t-il du « ghost » derrière le Major? Un inutile réflexe de respiration, quelques hallucinations d’un passé à tout jamais inaccessible, un sens moral dont on ne sait jamais s’il n’est pas la trace d’une manipulation de plus, et surtout un comportement impulsif, au mépris des règles et du danger, quelque chose du héros tragique, prête à se sacrifier au nom d’un idéal dont elle semble être la seule, dans ce monde sombre et triste, à avoir gardé le souvenir.

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Le « ghost » est impalpable et impossible à décrire ou à représenter, il apparaît comme un axiome, la croyance par défaut que quelque chose est à l’œuvre derrière les actes de chaque individu qui lui donnent une consistance propre et radicalement différente de la technologie. Scarlett Johansson n’incarne pas le « ghost », elle ne fait que lui prêter sa carapace, interchangeable, transitoire, transformable. L’essentiel se passe ailleurs, loin de cette expression neutre, de ce regard souvent vide, de la sensualité de ce corps avec lequel le film joue en permanence, soulignant sa beauté pour mieux le mettre à distance, nous rappeler son artificialité. C’est dans la nudité qu’il révèle son altérité profonde, sa structure fragmentée d’éléments interchangeables, sa monstruosité.

Du corps de Scarlett Johansson, a vrai dire, il ne reste pas grand chose. Au travers les images de synthèses, l’essence de l’actrice semble se résumer à certaines proportions, quelques textures de peau et une voix, un équilibre insaisissable, un spectre.
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Mira èrre dans cette matérialité factice, dans la double illusion de la ville post-humaine et de son existence. Elle est, au sens premier, un fantôme, planant au-dessus de sa propre tombe, hantant la mémoire de sa mère et les lieux qu’elle a connu à travers son premier corps. Était-elle plus humaine alors? Plus vivante? Quand la conscience peut être hackée et le corps reconstitué, la réponse à cette question semble définitivement hors de portée, et le « ghost » ne peut qu’être un mystère, un espoir.

Il ne nous reste alors pas d’autre choix que celui de continuer à croire, et de matérialiser nos croyances, la trace de notre ghost, par la somme de nos choix et de nos actions, aussi impulsifs soient-ils, irrationnels tant qu’ils font appel à un idéal inatteignable, impalpable, un fantôme dont seule l’ombre persiste.